Bonjour Hélène,
Tu as fort bien lu mon texte, en effet. La question du multiple n’y apparaît qu’en dernier lieu dans l’ordre des raisons et joue – pour parler un peu technique – comme argument a fortiori : elle n’invalide donc pas les raisons précédentes, mais se contente d’ajouter un cas où ces raisons valent plus encore. En d’autres termes, oui, si le multiple est un objet particulièrement propice, en soi, à s’excepter de la mécanique du désir aliéné telle que j’ai essayé de la définir, cela ne signifie pas que, par leurs autres moyens propres (en remontant : système du prêt, médiation critique, accrochage dans l’espace privé), les artothèques ne soient pas en mesure, aussi, d’en excepter les œuvres uniques.
Un point que tu soulèves, à ce propos, me semble d’ailleurs intéressant. Il est vrai que les œuvres uniques nous sont, la plupart du temps, devenues inaccessibles aujourd’hui pour des raisons économiques : elles coûtent trop cher, à l’aune du moins de ce que peut se permettre d’acheter ce qu’on appelle encore parfois la classe moyenne (ce « nous » dont je parle), sans parler bien sûr de ce que peuvent se permettre d’acheter les classes pauvres, dont on sait qu’elles représentent, hélas, une partie de plus en plus importante de la population française. En possédant dans leur fonds des œuvres uniques, et en les prêtant, les artothèques rendent possible pour tous un rapport spécifique (d’intimité) aux œuvres uniques, dont il est clair qu’il ne serait, sinon, réservé qu’à un nombre restreint de collectionneurs.
Mais à relire ce que je viens tout juste d’écrire, il me vient aussi à l’esprit une autre remarque. Parlant d’œuvres uniques, j’ai considéré – c’était inclus dans ta question – qu’il s’agissait toujours d’œuvres qui coûtent cher. Or, est-ce nécessairement le cas ? Sans doute, si l’on se limite aux œuvres uniques d’artistes connus. Mais on peut, tout aussi bien, accéder à des œuvres uniques, et pour un coût bien moindre, si l’on s’intéresse – tu le sais aussi bien que moi – à des artistes moins célèbres ou à de jeunes artistes. C’est bien ce qui fait que nous pouvons, nous aussi, les collectionner! Mais n’est-ce pas, bien mieux, et vu les moyens budgétaires réduits de ces structures, « handicap » qui, là encore, peut être transformé en atout, une option intéressante à tenir, pour les artothèques, que ce parti-pris pour une création plus jeune ou plus à la marge du main stream ? N’est-ce pas ce qui leur donne toute leur dimension de structures de recherche ? Et n’est-ce pas ce qui en fait, de surcroît, toute la beauté, d’un point de vue politique j’entends ? Mettre, ou essayer de mettre, la recherche, ce qui par définition est le plus à la pointe, à la portée du plus grand nombre.